Typologie critique des politiques possibles contre le chômage

Compte tenu des diverses causes principales du chômage (voir analyse dans l’article précédent), les principales politiques envisageables sont les suivantes :

  1. Compétitivité salariale et fiscale (rendre notre économie « compétitive » dans la mondialisation libérale, donc diminuer les coûts salariaux et la fiscalité)
    • 1er problème : pour que cela soit réellement efficace et suffisant, il faudrait réduire les salaires à des niveaux proches de ceux de la Chine ou au moins de l’Europe de l’Est, ce qui serait une régression sociale totalement inacceptable, à moins de mettre en place une compensation significative pour les salariés ;
    • 2ème problème : pour ce qui est d’avoir une attractivité fiscale pour les entreprises, et compte tenu de l’existence de pays concurrents ayant des taux ridiculement bas, il faudrait une baisse massive de l’impôt sur les société ; celle-ci conduirait soit à creuser le déficit et augmenter la dette publique, soit à réduire drastiquement les dépenses publiques au détriment de la qualité des services publiques et infrastructures, soit à compenser par une hausse significative de la TVA payée par les consommateurs ; voire les  trois à la fois. C’est pourtant à peu près cette « potion » ultra-libérale que François Fillon et Les Républicains voudraient imposer à la France 🙁
      En revanche, ce qui pourrait être fait de façon assez indolore et sans conséquence néfaste, serait de réduire sensiblement les coûts complets salariaux en transférant la TOTALITé du financement des systèmes sociaux sur AUTRE CHOSE QUE LA MASSE SALARIALE, par exemple : la CSG pour la part « salariale » (qui avait été pensée dans ce but par Michel Rocard il y a près de 20 ans !) qui permet de répartir le financement sur une assiette beaucoup plus large incluant les revenus financiers et autres revenus non salariaux ; ou encore, pour la part « patronale », le chiffre d’affaire ou la valeur ajoutée, ce qui permettrait de garantir que les entreprises investissant dans l’automatisation et la robotisation du travail continueront à financer la protection sociale même si elles produisent de la richesse avec très peu de travail humain et donc d’emplois.
      Concernant une éventuelle baisse des salaires horaire hors-charge, qui est peu ou prou ce qui s’est fait en Allemagne et au Royaume-Uni et explique pour une bonne part la baisse de leurs taux de chômage, c’est évidemment totalement inacceptable socialement. Au Royaume-Uni cela est d’ailleurs imposé très brutalement par un système d’indemnités chômage ridiculement faibles et courtes, et une quasi-obligation pour les chômeurs d’accepter n’importe quel boulot à n’importe quel prix, sous peine de perdre toute allocation. En Allemagne, dont la compétitivité internationale et les bons résultats économiques sont régulièrement cités en exemple, le coût social de cette réussite est énorme : 12,5 millions de personnes y vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit 16,7% de la population active (ce qui est plus qu’en France), et la société allemande est maintenant clairement « à 2 vitesses », avec plusieurs millions de travailleurs pauvres !
      En France, cela a donc été fait indirectement depuis de nombreuses années par l’ajout successif de toutes sortes de dispositifs de subventionnement des entreprises pour leurs emplois, la dernière en date (CICE) ayant été particulièrement coûteuse et sans grand effet sur les grosses entreprises qui ont plutôt profité de cette manne pour augmenter leurs bénéfices et dividendes versés à leurs actionnaires. En revanche, accroître le subventionnement direct des individus (ce que font les prestations sociales) pourrait rendre acceptable pour tous une réduction des revenus directs du travail, et donc tout ce qui tend à diminuer les salaires pour accroître la compétitivité.
  2. Démondialiser : favoriser activement les relocalisations industrielles en France
    C’est une option attirante, mais qui ne peut guère se faire qu’en rétablissant des droits de douane sur les importations, ce qui semble difficile à mettre en oeuvre en France sans un changement préalable et profond de la politique de l’Union Européenne ; ou bien il faut sortir de l’Union, avec tous les risques que cela implique, et un délai énorme de mise en oeuvre (cf. Brexit)… Sinon, on peut tout au plus subventionner les relocalisations, mais cela a déjà été tenté par le passé avec des résultats mitigés (effet d’aubaine, etc…).
    Il n’en reste pas moins qu’il serait souhaitable de mettre un maximum d’effort pour faire évoluer l’Union Européenne vers un modèle de solidarité autarcique entre pays frères européens (avec un protectionnisme assumé de l’Union, mis en oeuvre par une hausse significative des tarifs douaniers communs sur les importations extra-européennes, et sur le plan symbolique et pour associer les citoyens-consommateurs, la promotion d’un label « Made in European Union »).
  3. Réduire la demande d’emplois. En Allemagne, la proportion de femmes exerçant une activité professionnelle reste très faible (même si elle a augmenté ces dernières années), et cela peut expliquer pour une bonne part leur faible taux de chômage. Mais inciter les femmes à « redevenir femmes au foyer » (projet implicite de ceux qui prônent des politiques « familialistes ») serait un retour en arrière totalement inacceptable par rapport à l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes. Réduire le nombre de travailleurs immigrés (mesure principale mise en avant par le Front National) serait moralement très contestable (s’agissant pour la plupart en France d’étrangers installés depuis de nombreuses années, et intégrés dans notre société), et peu efficace à moins de contraindre les français au chômage à accepter les emplois actuellement occupés majoritairement par nos immigrés, souvent pénibles, mal payés et peu qualifiés par rapport au niveau de formation de beaucoup de chômeurs. En revanche, mettre en place un système de subventionnement social conséquent des individus (type « Prime pour l’Emploi » voire Revenu Citoyen inconditionnel) pourrait permettre de réduire la demande de travail à temps plein et à salaires élevés, puisque les revenus directs du travail deviendraient alors un complément pour améliorer le niveau de vie, plutôt que le moyen de disposer du minimum vital (ce qui rend la relation employeur-salariés totalement asymétrique au profit des entreprises qui peuvent peu ou prou « imposer leurs conditions » aux salariés craignant de perdre leur emploi). Une mesure type « Revenu Citoyen » aurait en plus le gros avantage d’apporter à tous les français une sécurité de revenu les rassurant (la peur et l’inquiétude sont souvent mauvaises conseillères…).  Cette sécurisation sociale rendrait aussi potentiellement acceptable des activités professionnelles moins garanties qu’un CDI (et pour laquelle la demande augmente très fortement et rapidement via les plate-formes numériques « collaboratives » type Uber-pop, airBnB, Drivy, TaskRabbit, etc…). Aux Etats-Unis une proportion de plus importante de la classe moyenne tire ses revenus de ce type d’activité, mais un tel modèle d’accroissement de l’auto-entrepreneuriat ne peut être socialement acceptable en France que s’il est adossé à un socle de revenu garanti suffisant pour vivre, et à une amélioration de la protection sociale pour le statut d’auto-entrepreneur. Enfin, disposer d’un revenu garanti conséquent peut « démocratiser » l’esprit entrepreneurial, en rendant possible au plus grand nombre le risque de création d’entreprise sans pour autant mettre en péril leur moyen de subsistance.

En conclusion, les principales mesures socialement et moralement acceptables qui sembleraient judicieuses en France face au chômage de masse actuel sont donc :

  • Transfert immédiat, pour diminuer le coût horaire du travail, et augmenter les revenus nets des salariés :
    • de la totalité des charges sociales « employeur » actuellement assises sur la masse salariale vers une autre assiette (% de CA ou de valeur ajoutée, par exemple)
    • de la totalité des charges sociales « salarié » vers un autre mode de financement (CSG et/ou impôts)
  • Mise en place progressive d’un « REVENU CITOYEN » individuel automatique, permanent et indexé sur les prix, qui soit suffisant pour vivre décemment (~850€/mois et par personne ?), et donc : 1/ sécuriserait les parcours professionnels (et rendrait socialement acceptable une + grande flexibilité des contrats de travail) ; 2/ diminuerait la demande d’emploi (puisque les personnes aux revenus les + modestes pourraient passer à temps partiel sans diminuer leur niveau de vie) ; 3/ faciliterait l’entrepreneuriat et/ou les activités à revenus variables sous statut d’auto-entrepreneur (lequel devrait néanmoins être amélioré pour garantir couverture santé et revenu de substitution en cas de maladie).

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